Ce message est une réponse à une question de Janette sur la liste-icem
C'est une grosse question que tu poses là. Peut-être faudra-t-il plusieurs messages pour y répondre.
Bon, je vais être trop long, tant pis...
Commençons par le début. Dans Méthode naturelle de philosophie, il y a "méthode naturelle" et "philosophie".
1) Pour la méthode naturelle, tu peux lire cet article sur le site de l'ICEM :
https://www.icem-pedagogie-freinet.org/sites/default/files/193_28-35.pdf
et fouiller les apports de Paul Le Bohec :
http://www.ecolebizu.org/adf/lebohec/sommaire.html
https://www.archives.asso-amis-de-freinet.org/lebohec/presentation.html
http://www.librelibre.fr/
2) pour la philosophie, c'est plus compliqué, parce qu'elle n'est jamais traitée en méthode naturelle
(je peux envoyer un ou deux articles que j'ai écrits sur la philosophie elle-même, mais ils sont en pdf)
Disons que nous contestons son traitement élitiste par une longue tradition scolastique, qu'elle est accessible à tout le monde, mais qu'elle a néanmoins ses exigences propres.
3) pour la Méthode naturelle de philosophie :
L'idée fondamentale est la suivante : les enfants sont capables de penser, et leur désir de le faire va grandissant à mesure qu'on leur en donne la possibilité. Il y a donc, comme pour tous les langages, un apprentissage concret à partir de l'expérience personnelle ("c'est en philosophant qu'on apprend à philosopher"), et qui est accompagné ("la part du maître").
Le point de départ, c'est l'expression libre. Les enfants se posent spontanément des questions (sauf si l'éducation passive les en empêche), et cela très, très tôt. La vie coopérative, sensible, et les multiples épreuves que les enfants rencontrent au quotidien, sont la condition et le matériau suffisants pour philosopher.
Il n'est donc pas question de thème, de déclencheur, de support, etc., la base de la Méthode naturelle, c'est la vie. C'est simplement ce qui a lieu, ce qui se passe, ce qui intéresse, ce qui touche.
Il n'est pas question non plus de "procédure" à suivre, de "méthode", de "dispositif", de "rôle", etc. le processus de la Méthode naturelle, c'est la plus grande simplicité, celle du tâtonnement dans l'incertitude. On se réunit, et on discute. Voilà tout.
Il n'est pas question d'en faire une discipline au programme, encore moins de l'évaluer, non plus de l'instrumentaliser pour une quelconque "visée", fût-elle "démocratique". On fait de la philosophie pour elle-même, en raison de la joie et de la lucidité qu'elle procure. Parce que penser en commun, c'est mieux que de subir sans comprendre.
Il n'est pas question de viser un "savoir" particulier, un "objectif", dont on ferait ensuite le résumé à retenir. Les séances de travail se suffisent à elles-mêmes. Les idées se construisent dans la longue durée, par imprégnation.
Il n'est pas question d'isoler cette pratique de la vie de la classe. Dans la classe coopérative, la philosophie participe à la vie, au même titre que toutes les autres activités. Elle est mise à l'épreuve de la vie : ce qu'on dit dans nos discussions, est-ce que c'est vrai ? Est-ce que ça marche ? La méthode naturelle est globale, elle fait partie du tout.
On peut, si le désir se manifeste, l'inscrire à l'emploi du temps, pendant une période donnée, puis arrêter si on n'en ressent plus la nécessité. Comme pour tout, la philosophie existera dans la classe si l'instit s'y intéresse, et s'intéresse à ce que les enfants en font. Cela peut faire partie de la culture de la classe, ou lui appartenir seulement à certains moments.
Mais l'idée n'est pas que l'instit se passe plaisir à elle/lui-même. C'est que l'expression libre investisse ce langage, car il est éprouvé par les enfants comme désirable, comme bon pour leur vie. Bien sûr, l'instit l'introduit, et lui donne une certaine orientation (celle de la Méthode naturelle). Dans mon cas (mais les expériences varient), ça s'est imposé, sous la pression des enfants. Nos réunions tournaient facilement à des discussions de cette nature, et je me suis dit : tiens, ils font de la philosophie, on dirait. Essayons donc...
On parle souvent de "discussion à visée philosophique". Pourquoi "à visée" ? Fait-on des créations ou des recherches à visée mathématique ? Des textes libres à visée littéraire ? Des enquêtes à visée historique ? Des œuvres à visée artistique ?
Non, les enfants sont capables. Bien sûr, ils ne font pas ce que font les adultes (faut-il le préciser ?). Il n'appartient qu'à nous de travailler notre métier d'enseignant, en progressant en Méthode naturelle tout au long de notre vie (on a le temps, nous aussi on est tous capables ! Il nous faut juste du temps pour progresser). Voilà la formule que je propose : les enfants n'ont pas les savoirs des adultes, mais ils peuvent faire ce que font les adultes quand ils produisent les savoirs, les œuvres. Un philosophe entre dans la classe, et peut dire : "ça alors, ce qu'ils font, ça ressemble un peu à ce que je fais ! Je ne savais pas qu'ils en étaient capables". Et d'ailleurs, les enfants non plus ne savent pas ce dont ils sont capables. Ils le découvrent en le faisant. C'est ça, notre travail : les aider à découvrir ce dont ils ne se savaient pas capables.
La question de l'accompagnement, maintenant :
Les petits (de maternelle à CE1) n'ont pas la maîtrise du langage, des mots, ils confondent, ils peinent à construire un raisonnement suivi. Mais leur expérience est intense, leur désir est vivant, ils ont des tas de choses à dire et à examiner. On s'appuie donc sur cette sensibilité pour les aider à construire les mots, les distinctions, les idées qui leur permettent d'éclairer ensemble leur propre expérience.
Les grands (CE2-CM2) ont déjà construit des représentations toutes faites, des certitudes, des évidences, qu'on appelle des opinions. Cela leur vient de l'environnement (famille, école, amis, médias...). Si l'expérience vécue est tout aussi intense que celle des petits, elle est néanmoins infléchie, influencée, jugée, interprétée, par des conceptions plaquées sur elle, qu'ils ont incorporées, par imprégnation dans l'environnement social. On s'appuie sur leur expérience concrète, et on la libère progressivement de la gangue des représentations acquises, en les remplaçant par des idées construites ensemble, et vérifiées par expérience.
Bon, il reste la question technique :
qu'est-ce qu'on fait, nous, pour que ce soit de la philosophie ? La réponse devrait être plutôt empirique, on apprend en faisant. C'est fait pour ça, le compagnonnage. Dans un message, ce n'est pas facile, et là, ça devient vraiment long !
La philosophie ne consiste pas à donner son avis, à discuter des opinions, à tenter de préciser des certitudes. Cela consiste précisément à en sortir.
A partir de l'opinion, sortir de l'opinion (de même que la pédagogie, c'est le mouvement par lequel on sort de la scolastique). Comment ? En posant des problèmes, disent les philosophes, et en créant les concepts qui permettent de le faire. Je sais, on n'est pas tellement avancés : c'est quoi un problème, et c'est quoi un concept ? Les enfants, eux, ils construisent difficilement (ou pas du tout) des concepts. On les aide plutôt à définir les mots qu'on utilise, à faire des distinctions entre les mots qui se ressemblent, et à choisir le bon mot pour mieux comprendre et se comprendre. De temps en temps, on récapitule, pour savoir où on en est (car on a vite fait de dériver), ou on fait une petite synthèse de ce qu'on a réussi à préciser ensemble. Et petit à petit, par un tâtonnement collectif, on y arrive de mieux en mieux.
Je me suis aperçu que la pensée, avec les enfants, est presque toujours le produit d'une discussion collective. Ce n'est pas que chaque enfant doit avoir des idées, individuellement. C'est le groupe qui construit une pensée collective, dont chacun s'imprègne selon ses possibilités. La pensée individuelle est le résultat du processus collectif de l'effort pour penser. Et tout le monde n'est pas obligé de s'exprimer. Certains écoutent, réfléchissent, s'imprègnent, il n'en pensent pas moins (Platon a parlé du "dialogue de l'âme avec elle-même").
Autant dire qu'on n'écrit rien, ce n'est pas nécessaire. La méthode naturelle de philosophie se présente sous la forme de discussions collectives sur des sujets qui nous intéressent, qui font partie de notre vie, et que l'instit accompagne pour ne pas tourner en rond. Elle se prolonge dans la vie quotidienne, où elle se met à l'épreuve de l'expérience.
Pas de performances, pas de prétention, pas de rituel, pas de procédure : la simplicité de la vie en commun, qui cherche et s'invente concrètement, par les mots (dont on prend soin) et par les actions quotidiennes (qu'on s'efforce de faire correspondre aux mots - et réciproquement).
Méthode naturelle de philosophie
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- Enregistré le : mar. 4 mai 2021 19:28
Re: Méthode naturelle de philosophie
Bonjour,
Bonjour, je mets ce message de Denis qui vient de la discussion sur ce sujet sur la liste ICEM :
Merci pour ces riches échanges. Pour un exemple d’apprentissage (de la part
du maître et des élèves) en méthode naturelle en philosophie, on peut voir
ce qu’en disent des lycéens (plutôt dans la seconde partie de ce retour de
pratique :
https://www.icem-pedagogie-freinet.org/sites/default/files/retour_de_pratique_2018.pdf)
et des travaux écrits recueillis (
https://fr.calameo.com/read/005635544c364fd9751b9)
Bien cordialement,
Bonjour, je mets ce message de Denis qui vient de la discussion sur ce sujet sur la liste ICEM :
Merci pour ces riches échanges. Pour un exemple d’apprentissage (de la part
du maître et des élèves) en méthode naturelle en philosophie, on peut voir
ce qu’en disent des lycéens (plutôt dans la seconde partie de ce retour de
pratique :
https://www.icem-pedagogie-freinet.org/sites/default/files/retour_de_pratique_2018.pdf)
et des travaux écrits recueillis (
https://fr.calameo.com/read/005635544c364fd9751b9)
Bien cordialement,