La pédagogie Freinet, une question de vocabulaire ?

Tout ce qui n'a pas encore trouvé sa place...
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Hervé Allesant
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La pédagogie Freinet, une question de vocabulaire ?

Message par Hervé Allesant »

Bonjour à tous, je rapatrie donc ce questionnement qu'on eut plusieurs personnes sur nos listes, autour de l'utilisation d'un certains vocabulaire en pédagogie Freinet : conseil ou réunion de coopérative, responsabilités ou métiers, Entretien ou Quoi de neuf, avec une première suggestion de Nicolas Go :
Un bout de contribution :
- historiquement, les rapports entre pédagogie institutionnelle et pédagogie Freinet ont été assez (voire très) conflictuels. Je pense qu'il convient aujourd'hui de tourner cette page, et préférer la contradiction fraternelle.
- ce qui ne signifie ni les affrontements passionnels (que les nouvelles générations comprendraient mal et qui ne mènent nulle part), ni le consensus vague (qui dilue la radicalité des pratiques dans une "tolérance" confuse)
- il existe des différences réelles de conception et de pratique , et nous devons la clarté aux nouvelles générations ; il existe aussi du commun qui justifie le dialogue amical et les luttes partagées.

Un bout de réponse à Nicolas Monchand, pour compléter celle de Guy Goupil :
- ce qui différencie principalement les "institutions" (conseil, quoi de neuf, etc.), c'est le système pédagogique auquel elles appartiennent.
Par exemple, si tu fais de la pédagogie Freinet (dont la P.I. s'est largement inspirée, au point qu'elle est aujourd'hui chaleureusement accueillie au sein de l'ICEM), et que tu substitues le "conseil" à la réunion coopérative, ça n'a pas beaucoup de sens. A moins de vouloir passer progressivement de la P.F. à la P.I. Ou encore, si tu introduis les "ceintures" dans ton fonctionnement de classe, tu es déjà en P.I. Freinet ne l'aurait jamais accepté.
- A première vue, ça n'a l'air de rien. On a l'air de chipoter, et d'aucuns se diront qu'on peut "mélanger", que comme ça on "enrichit". En réalité, les conséquences sont importantes.
- les praticiens de la P.I., qui se sont inspirés de la P.F., sont parfaitement légitimes à défendre un tel mélange, puisque c'est ce qu'ils font par définition. Et c'est tout à fait respectable.
- les praticiens de la PF sont parfaitement légitimes à le refuser, non par "orthodoxie" (cette accusation est déloyale) mais parce qu'ils rejettent le mode de vie impliqué par la P.I.

Je propose, puisqu'il en est question ici, de distinguer la pédagogie institutionnelle de la pédagogie Freinet à proprement parler, et de rassembler les deux (avec d'autres variations, ou interprétations de la P.F.) dans le mouvement Freinet et au sein de l'ICEM. Il y a bien en ce sens une unité du mouvement Freinet international, qui s'est progressivement diversifié en composantes.
Ce phénomène de diversification, après la mort d'un fondateur, est une constante historique dans tous les domaines. Il nous appartient de veiller à ce qu'il ne donne pas lieu chez nous à 1. une logique de groupuscules ou de sectes (au sens propre de coupures) 2. une logique d'affadissement des audaces révolutionnaires au nom de la "tolérance".
Je crois qu'il est urgent de clarifier tout ça, et de définir ensemble ce que j'ai nommé des "lignes de partage", afin de distinguer 1. les composantes légitimes 2. les pratiques incompatibles, qui commencent à se développer au détriment de la Méthode naturelle de Freinet.

Pour conclure (désolé, c'est long, mais comment faire autrement pour éviter les confusions) :
Personnellement (ce qui ne compte pas beaucoup, car nous devons conduire une réflexion collective), je ne fais pas de P.I. et je n'en ferai jamais. Mais je suis ravi de discuter (loyalement) avec mes camarades de la P.I. (et des autres variantes de la P.F.) qui ont toute leur place au sein de l'ICEM contemporain.

Amicalement
Nicolas Go
P.S. : J'ajoute que le "débat philo" n'est pas une institution de la P.I. J'ai moi-même mis au point dans ma classe, au début des années 1990 en discussion passionnée avec Paul Le Bohec et pendant plusieurs années d'expérimentation, "la méthode naturelle de philosophie". C'est très modeste et très joyeux, comme toujours en Méthode naturelle...
mais aussi de Stéphane Daubilly
De même on trouvera sur cette page : les métiers  (PI)/ responsabilités, les "messages clairs", les "arbres de connaissance", les marchés des connaissances, les débats philo ...
Cela témoigne de la pluralité de styles pédagogiques au sein du mouvement. Personnellement cela ne me choque pas car chacun doit pouvoir trouver à l'aide de chacune de ces techniques chaussure à son pied selon ce qu'il est capable de mettre en œuvre et cela en accord avec le milieu dans lequel il officie.
Une orthodoxie serait hors de propos à moins de ne s'adresser qu'à un certain type d'enseignant travaillant dans un milieu en accord avec cette orthodoxie. Un/une collègue travaillant en ULIS ou en ITEP ou dans une cité REP+ du 93 doit pouvoir trouver des ressources au sein du mouvement Freinet, comme un collègue travaillant à l'école de Vence !
"Le quoi de neuf" et "le conseil" n'ont pas les mêmes fonctions que "l'entretien du matin" et la "réunion de coopérative" c'est vrai ... Après je ne sais pas peut-être que l'accueil inconditionnel du sujet-enfant et la possible auto-gestion de la classe par le collectif d'enfants ça parlait à plus de gens à une époque.
Il a des années ou dans la classe on a besoin d'un "Quoi de neuf" et d'un "Conseil" et d'autres où les choses vont de soi alors ça ressemble plutôt à "l'entretien du matin" et "la réunion de coopérative".

Stéphane Daubilly
Merci pour votre contribution. Je rajouterai également mes questionnements dans un prochain message.
GD13 - membre du comité d’animation - chantier BTj - chantier des outils informatiques - Enseignant en classe unique urbaine à Marseille.
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Hervé Allesant
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Re: La pédagogie Freinet, une question de vocabulaire ?

Message par Hervé Allesant »

De mon coté, j'ai également vu employé plusieurs fois le terme "contrat" pour "plan de travail". Et j'ai eu plusieurs discussions, argumentées, pour l'emploi de l'un comme de l'autre. 
GD13 - membre du comité d’animation - chantier BTj - chantier des outils informatiques - Enseignant en classe unique urbaine à Marseille.
Nicolas Monchand
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Re: La pédagogie Freinet, une question de vocabulaire ?

Message par Nicolas Monchand »

Hervé Allesant a écrit : De mon coté, j'ai également vu employé plusieurs fois le terme "contrat" pour "plan de travail". Et j'ai eu plusieurs discussions, argumentées, pour l'emploi de l'un comme de l'autre. 
Pour moi, le contrat c'est quand on dit dans la semaine tu dois faire cela, et cela... Le plan de travail c'est quand il y a aussi la part de l'enfant. C'est un pense bête. Je dois écrire la lettre à un tel, il faut je fasse mon exposé, ...

Mais j'en reviens  à ma question, mes questions :

différence entre réunion et conseil de coopérative  ?

Entretien et quoi de neuf ?

Coopérativement, 

Nicolas
GD 42
Secteur Pratique Sonore et Musicale
Stephane Daubilly
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Re: La pédagogie Freinet, une question de vocabulaire ?

Message par Stephane Daubilly »

Pour faire court :
Tout d'abord il faut savoir qu'Il y a deux types de pédagogie institutionnelle:
-Un courant d'inspiration psychanalytique (Fernand Oury, René Lafitte) et très inspiré par les dynamiques de groupe et l'analyse institutionnelle.
-Un courant auto gestionnaire (Raymond Fontveille) lui aussi très inspiré par les dynamiques de groupe et focalisé sur l'analyse institutionnelle .
Le "Quoi de neuf" et le "Conseil de coopérative" furent développés au sein de l'IPEM dans les années 50-60 et ces deux courants représentaient la majorité du groupe parisien à l'époque avant qu'il soit exclu de l'Icem à la suite de désaccords profonds avec Élise et Célestin Freinet. Dans les ouvrages de PI de Fernand Oury le "Quoi de neuf" a une fonction d’accueil de l'individu dans sa singularité, il n'a pas vocation à être utilisé à des fins pédagogiques . Le conseil a pour fonction d'analyser les dynamiques et les relations sous-jacentes à la vie quotidienne de la classe, c'est le lieu ou on peut se plaindre mais aussi proposer des aménagements du temps et de l'espace, avec d'autres institutions notamment les ceintures de comportement il permet une prise en charge par le groupe de la vie quotidienne ( Un peu comme le planning dans les lieu fonctionnant en psychothérapie institutionnelle). Ces outils à mon avis n'ont par ailleurs pas vocation à être utilisés dans tous les milieux comme je le précisais dans un précédent message.

Stéphane Daubilly
Nicolas Go
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Re: La pédagogie Freinet, une question de vocabulaire ?

Message par Nicolas Go »

Je pense utile de nous appuyer prioritairement sur les textes et les pratiques de Freinet et des compagnons.
C'est important pour les nouvelles générations. L'enjeu est celui de la transmission de la culture commune.

Certes, les pratiques évoluent, il ne s'agit pas d'arrêter le temps aux années 1960.
Certes, la pédagogie Freinet admet diverses interprétations selon nos personnalités, ou notre niveau d'avancement
MAIS on ne peut pas en conclure pour autant que chacun peut s'en revendiquer à son gré, sans considération ni compréhension des principes fondamentaux.
L'argument "moi je fais comme ça" peut exprimer un manque de modestie, un refus d'apprentissage, une indifférence à des décennies d'expérimentations coopératives, etc.
La tradition coopérative du compagnonnage, qui a fait le mouvement Freinet, suppose d'accepter d'apprendre de celles et ceux qui ont appris, et par conséquent de les identifier.
Ce dernier point soulèvera sans doute des réactions épidermiques au nom, peut-être, de l'horizontalité, ce qui est un autre débat, qui mériterait d'être collectivement conduit.

Je ne présente pas mon point de vue, mais celui de Freinet, le plus brièvement possible. Et pour commencer, cette formule :
Notre pédagogie  est à base de vie. Tout ce qui sert la vie y a sa place.
1) description du déroulement de la réunion en pédagogie Freinet, d'après Freinet.
Le groupe classe rassemblé, l'élève président de séance anime les échanges, et l'élève secrétaire inscrit l'essentiel dans le cahier de secrétariat. L'instit participe, en retrait, à l'animation et lève le doigt pour parler

a) le rappel
la/le secrétaire lit, dans le cahier de secrétariat, les décisions de la séance précédente, et note les éventuelles nouvelles remarques/décisions.
On vérifie que les décisions de la séance précédente ont bien été prises en compte.

b) la réunion commence
on décroche le journal mural qui était disponible toute la semaine affiché en grand sur un mur, et qui contient les remarques écrites des enfants.
Il comprend 4 colonnes, dont on va discuter successivement, en guise d'ordre du jour, en lisant ce qui a été écrit par les enfants. La/le président pose la question pour lancer la discussion :
- je critique : "qui critique ?"
- je propose (ou j'ai réalisé) : "qui propose ?"
- je voudrais : "qui voudrait ?"
- je félicite : "qui félicite ?"
La/le secrétaire note les remarques et décisions au fur et à mesure (il peut y avoir un secrétaire qui lit, l'autre qui écrit ; si les enfants sont trop petits, ou pas encore aguerris, c'est l'instit qui le fait)

Dans certaines classes, au lieu des 4 énoncés, on construit ensemble un ordre du jour différent chaque semaine, en fonction des événements et des besoins (sur le tableau, par exemple).

2) Remarques sur la conception de la réunion coopérative

Ce n'est pas la loi, ni les règles qui priment, c'est la vie.
L'enjeu, c'est l'organisation vivante du travail et de la vie collective démocratique
l'atmosphère est celle du sérieux (le travail bien fait) et de la joie de vivre
On met en valeur le travail, c'est pour mieux travailler (et pas un exercice de communication)
On ne fait pas de leçons de morale, on ne suit pas des normes abstraites, il ne s'agit pas d'une théorie qu'on applique
Ce ne sont pas les procédures qui priment, c'est le mouvement sensible du désir, attaché au travail et à la vie commune
On parle de ce qui se passe réellement, au quotidien, en fonction des besoins
On valorise l'expérience elle-même, le vécu (la règle ne commande pas, elle est commandée)
On valorise la réussite, la satisfaction du travail bien fait, même très modeste (on ne stigmatise pas les échecs
Il y a très peu de sanctions, ou pas du tout
quand il y en a, ce ne sont que des réparations, sous forme d'un service utile à la communauté, un travail, donc, selon une culture de la promesse que l'on fait (et non de la punition qu'on subit)
La réunion n'est pas un tribunal d'enfants, elle n'a pas de fonction juridique ; ce n'est pas non plus le lieu d'une confession ; ce n'est pas un instrument au service d'un pouvoir dissimulé de l'instit
C'est un lieu de régulation joyeuse du travail et de la vie commune, plus de l'ordre de l'affect (que de la loi)
Après une réunion, dit Freinet, les enfants sont heureux d'avoir discuté de ce qui leur tient à cœur, et de s'être déchargés de ce qui les perturbe (mauvaises actions, tristesses, etc.)
Le mode de relation est celui de la franchise (la "parrhesia", le courage de la vérité), de la camaraderie (affect commun fraternel) et de la rationalité (pas des impulsions égoïstes)

Pour conclure, ce n'est pas l'institution qui commande. Ce sont les enfants qui commandent et régulent l'institution, de façon sensible et loyale.
Ils forment l'institution qui les forme (car les institutions sont des machines à fabriquer des dispositions, ici, des dispositions coopératives)
La classe devient progressivement "la chose même de chaque enfant" (Freinet), la réunion coopérative exprime la souveraineté collective des enfants sur leur propre travail.

Nicolas Go
Stephane Daubilly
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Re: La pédagogie Freinet, une question de vocabulaire ?

Message par Stephane Daubilly »

Tout ce que tu as écrit-là était transmis en grande partie par les camarades et compagnons de la PI sous d'autres formes , personnellement j'ai beaucoup appris de Jean-Louis Maudrin qui était aussi au passage l'un des fondateurs du secteur musique de l'Icem .
Ne pas avoir besoin de loi, de règles, d'institutions, de sanctions c'est très bien quand on peut le faire !
Ce n'est pas le point de vue de Fernand Oury ou de François Tosquelles que je présente mais celui d'un instit de rien du tout (pour reprendre Oury) qui travaille laborieusement en REP +, ce que je constate c'est que l'héritage de ces instit Freinet là (ceux de la PI)  m'a été parfois plus utile que les histoires de puissances de vie nietzschéennes dont je me méfierai toujours !

Stéphane Daubilly
Daniel Chazelas
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Re: La pédagogie Freinet, une question de vocabulaire ?

Message par Daniel Chazelas »

A un journaliste qui demandait à Freinet quelle était la ligne de son mouvement, Freinet avait répondu: " Nous sommes le mouvement qui déplace les lignes". Ce que l'on pourrait considérer de la part de Freinet comme une forme d''acceptation (d'accueil) de concepts venus de l'  "extérieur". Historiquement, cela n'est pas fondé. Ce qui est devenu la Pédagogie Institutionnelle -résultante de l'éviction de camarades du groupe parisien par Freinet, reste un prolongement de la psychothérapie institutionnelle (Oury, Tosquelles...). Il y avait, peut-être, une désobéissance à Freinet.
Après, ce que je lis (au départ sur la liste ICEM) revient à une forme de conformité. Le mots (ou expressions) de Freinet peinent à être interchangeables. La réunion de coopé, ça ne saurait ressembler au Conseil; le Quoi de Neuf, ça n'est pas ... Il me semble que l'on débat ici d'appellations  (et donc de labels). Je ne pense pas être dépositaire d'un vocabulaire qui serait plus Freinet (ou moins).
Dans mes classes, indifféremment, on parlait de Réunion de Coopé, ou de Conseil. C'est ce que l'on y mettait qui nous parlait. Ce que l'on constituait qui statuait. Ni plus, ni moins Freinet . Alors, une orthodoxie? la droite ligne de la doxa (telle que me l'exprimait en d'autres temps mon ami Roland Barthes), sous des allures de "réconcilation", on peut encore y entendre de la réconciliascission! Pour le reste, je ne suis pas persuadé que l'AOC Freinet fonde une vérité au stade de sa profération. Je pense, Nicolas, que l'on peut intégrer des appellations voisines sans pour autant trahir quoique ce soit. Traduttore, traditore...
Et, bien amicalement, bien sûr...
Daniel (ICEM33 - AdF)
Pierrick Descottes
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Re: La pédagogie Freinet, une question de vocabulaire ?

Message par Pierrick Descottes »

Bien sûr que le contexte d'exercice n'est pas sans incidence sur ce qu'on est amenés à mettre en place. Les conditions d'exercice dans les classes en 2021, et pas seulement en REP+, ne sont plus les mêmes que dans les classes rurales des années 50/60. Le rapport à l'autorité, notamment, a changé.
Mais quand, ces dernières années, je me sens contraint de mettre en place des permis dans ma classe, centrés sur le travail mais inspirés de loin en loin des ceintures de la PI, déjà je ne les mets pas en place systématiquement et d'emblée. Je les conçois comme un palliatif temporaire autant que possible , une béquille pour réguler la vie du groupe et l'aider à se centrer essentiellement sur le travail de création et de recherche.
La pédagogie Freinet est une pédagogie du travail, son objet est de créer un milieu où le désir va s'orienter d'abord, et sans ersatz, vers le travail. Il y a des chapitres essentiels de "L'éducation du travail" à ce sujet. C'est le parti-pris fondamental de la PF.

Toutes les béquilles que je suis amené à mettre en place, faute de mieux, sont pour moi le révélateur d'un milieu que je n'ai pas rendu assez riche pour que le désir s'investisse délibérément dans le travail.

On le constate tous dans nos classes : quand un enfant se retrouve vraiment en position d'auteur, dans un travail choisi et exigeant, répondant à des vraies questions de sa part, et avec un horizon de promesse pour lui, même le plus turbulent ou perturbé ne posera alors aucun problème d'autorité dans la classe.

Ce sont ces moments-là que je cherche à multiplier et à généraliser dans ma classe, avec plus ou moins de réussite. Ce qui fait pour moi de la PF un chantier permanent où la marche vers l'émancipation associe et implique conjointement adulte et enfants, en tant que coauteurs du milieu.
L'expérience de Mons, dans un contexte REP+, a fourni des résultats probants avec cette option. Pour moi, elle fait référence quant à la validité de la Pédagogie Freinet centrée sur le travail, dès lors que celui-ci s'articule au désir et à l'effectuation de puissance.


Pierrick
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Jean Teissier
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Re: La pédagogie Freinet, une question de vocabulaire ?

Message par Jean Teissier »

C'est cool que ce débat s'ouvre sur le forum.
Mais je vous avoue que, pour le moment, je suis un peu perdu...

C'est sûrement normal au moment où une conversation de fond s'amorce, mais j'ai l'impression que nous parlons sur plusieurs plans en même temps.

Perso, j'en perçois au moins 3 :

1) Des questions de différences concrètes :
A ce niveau-là, il s'agit de nommer ce qui différencie des institutions spécifiques :
  • la réunion de coopératif (P.F.) du conseil (P.I.)
  • l'entretien du matin (P.F.) du quoi de neuf ? (P.I.)
  • le plan de travail du contrat de travail (et là, si j'ai bien suivi, ce n'est pas une divergence P.F. / P.I. C'est un autre champ de différences ?)
2) Un projet de différenciation plus général :
Il renvoie à l'interpellation de Nicolas Go d'il y a quelques semaines : il faudrait qu'au sein de l'ICEM, nous cherchions à désigner des « lignes de partage ». Cela permettrait :
  • d'une part : de clarifier nos discours → cette clarté permettant, notamment, de s'adresser aux primo-arrivants dans le mouvement Freinet en précisant d'emblée un certain nombre d'enjeux (et limites ?).
  • d'autre part : de refaire des choix éclairés sur ce à quoi nous tenons, sur ce à quoi nous voulons consacrer notre travail et notre énergie.
(C'est en tout cas comme cela que je l'ai entendu : j'espère n'avoir pas trop déformé son propos)

Face à cet enjeu-là, la distinction P.F. / P.I. ne serait qu'un cas particulier et, peut-être, une sorte de... premier essai ? de répétition générale ?
Elle a un avantage (par rapport à d'autres distinctions à faire, évoquées par Nicolas il y a quelques semaines : j'ai plus son texte sous les yeux mais, de mémoire, il parlait des « figures de la psychologie positive et de la bienveillance »...etc).
Elle a une histoire. Elle a déjà donné lieu à toute une palette de gestion possible de la différence : curiosité, conflit, exclusion, réconciliation...etc.
Elle a déjà donné lieu à beaucoup d'explications, controverses et commentaires.
Bref, avec celle-là au moins, on peut prendre appui sur une mémoire et sur des textes.

Elle a aussi une particularité, qui l'a rend très intéressante mais qui est peut-être aussi une limite : elle marque une frontière interne au « mouvement Freinet ». Si j'ai bien suivi les échanges, l'enjeu n'est pas de refaire le coup de la pureté et de l'épuration mais de bien nommer ce qui distingue 2 voies.

Or, de mémoire, le texte initial de Nicolas posait aussi la question de frontières externes : comment décrète-t-on ce qui sort des limites du « mouvement Freinet » ? Qui le fait ? Au nom de quoi ? Dans quel but ?
Questions qui me paraissent bien plus lourdes, désagréables, potentiellement enflammées que celle de la différence P.F / P.I (qui a pourtant donné lieu à une exclusion... ce qui témoigne du fait qu'elle a eu un potentiel de brûlure assez sérieux déjà).

3) Des manières de prendre la parole (ici, maintenant, face à ce sujet)

Il y a des différences de styles : des manière d'être touché par le sujet et des manières d'y répondre, en fonction de nos expériences. Des manières de s'y engager comme sujet.

J'avoue que, moi, y'a un peu que ça qui m'intéresse. Si ça ne tenait qu'à moi, je partirais dans une longue diatribe qui ne parlerait que de ça : comment devient-on ? Comment entre-t-on dans une pratique qui nous aurait paru auparavant inimaginable, impossible ?

Sauf que j'aurais l'impression de... je sais pas, d'essayer de détourner la discussion pour l'amener sur les sujets qui m'obsèdent, moi ?
  • Telle que je la comprends, la proposition de Nicolas cherche à objectiver quelque chose d'important (au minimum pour lui, mais manifestement, au vu des réponses qui ont déjà eu lieu, pas seulement pour lui). Ce serait pas très juste de lui répondre en ne parlant que de subjectivation (c'est bien moche comme expression,ça...).
  • J'ai envie d'essayer de jouer le jeu, de le suivre dans ce pari qui n'est pas le mien. Le pire qui puisse m'arriver, après tout, c'est qu'il se passe quelque chose que je n'aurais pas prévu et de m'endormir moins con.
  • Par contre, je dois avouer que je sais pas trop comment le faire, pour le moment. Ne serait-ce que parce que je n'ai pas franchement compris où passe concrètement la ligne de partage entre P.F et P.I...
Jean Teissier
GD 69 - FREM-CE - Secteur Étude du milieu - Secteur Corps - CA de l'ICEM
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Jean Teissier
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Enregistré le : lun. 3 mai 2021 17:46

Re: La pédagogie Freinet, une question de vocabulaire ?

Message par Jean Teissier »

Bon, du coup, je tente un résumé de ce que j'ai capté de vos échanges.
Il est possible qu'il soit 100% à côté de la plaque. Mais c'est pas grave, vous me réexpliquerez.

Ce que j'ai cru comprendre de la différence P.I / P.F

Le cadre général d'analyse

P.F et P.I seraient deux systèmes pédagogiques différents.
Ces systèmes seraient tous deux caractérisés par des institutions qui se répondent les unes aux autres.
Ces institutions se ressemblent pour partie (et pour cause, elles ont la même origine) mais elles diffèrent de manière significative.
Cette ou ces différences engendrent un environnement de travail différent pour les habitants de la classe (adultes / enfants).
Cet environnement crée des dispositions différentes chez ces habitants. Il y aurait deux manières distinctes de penser des enjeux quasi-communs : ce que signifie « travailler », ce que signifie « coopérer », ce que signifie « instituer » (là c'est moi qui suppose que cela concerne, au moins, ces 3 enjeux).
Je suppose également que cette divergence n'a pas surgie de nulle part. Que ces écarts répondent à des postulats et/ou des visées décalés les uns par rapport aux autres.

C'est cet écart de visée qui n'est pas clair pour moi : que viserait la P.F que ne viserait pas la P.I ? Que viserait la P.I que ne viserait pas la P.F ?


A relire vos échanges, j'ai l'impression d'entrevoir des zones de désaccord (mais ce sont des zones, pas des « lignes de partage ») :
  • système auto-suffisant (P.F) vs. Système mixte (P.I) ?
Côté P.F : le système de la P.F aurait une cohérence forte. Le mixer avec d'autres logiques, d'autres systèmes serait perdre de cette cohérence et de sa capacité à produire, par elle-même, des effets.
Côté P.I : dans le quotidien de « l'instit de rien du tout », il arrive que la P.F ne suffise pas. Il y aurait un trou, un manque (au moins en pratique sinon en théorie). Il faudrait faire appel à d'autres ressources : en l'occurrence, une analyse institutionnelle (d'inspiration psychanalytique et/ou autogestionnaire ?).
  • désir de travail vs. enfant-sujet ?
Côté P.F : La cohérence et la puissance du système de la P.F serait qu'il serait complètement tourné vers le travail. Le désir du travail serait « naturel » ou, tout au moins, tout le monde aurait la possibilité de désirer travailler (lorsque le travail fait sens et qu'il est émancipateur, libérateur de « puissance de vie »). C'est ce désir-là qu'il s'agirait de soutenir. Par conséquent, c'est vers le déploiement de ce désir-là que toutes les institutions doivent être orientées.
Côté P.I : L'enfant-sujet ne serait pas seulement un travailleur. Ce qu'il est d'autre pourrait contrarier son désir de s'émanciper par son travail (quand bien même l'environnement de la classe serait construit dans cette direction). Il faudrait donc, en plus, des institutions qui permettent d'accueillir au sein du groupe ces autres dimensions.
  • « la vie » vs. « le groupe » ? (formules injustes et floues mais j'ai pas trouvé mieux)
Côté P.F : L'enjeu fondamental des institutions serait d'être au service de ce qu'il y a de « vivant » dans la classe. Elles ne sont que des outils à transformer ou abandonner dès qu'elles entrent en contradiction avec l'un de ces « élans vitaux ». Ce sont ces « élans » que l'organisation de la classe doit pouvoir reconnaître, valoriser et orienter vers le travail. Il y aurait là comme un principe de discernement : en cas de doute ou de contradiction, choisis d'aller là où tu perçois quelque chose de vivant.
Côté P.I : L'enjeu fondamental des institutions serait de rendre visible et de mettre au travail les dynamiques qui traversent le groupe, sans préjuger de ce que ces dynamiques sont. A cet égard, les institutions seraient un peu plus que des outils : elles seraient la représentation que le groupe se donne de lui-même (à un moment donné). Il y aurait là comme une logique « juridique » où le groupe formule ses propres lois. De telles lois pourraient (devraient?) être remises en cause, aussi souvent que nécessaire. Mais elles produiraient aussi et de manière explicite des normes de comportement (formalisées, par exemple, par des ceintures).

Je ne suis vraiment pas sûr que ma description soit fidèle aux deux perspectives.
Mais en supposant qu'elle soit pas complètement passée à côté, par contraste, il y aurait du côté de la P.F une sorte de postulat confiant / optimiste et « naturalisant » (« la vie est »).
La P.I, elle, se fonderait sur une hypothèse plus inquiète et « socialisante » (« tout groupe produit des normes »).
  • des conditions différentes
Cet écart de pari fondamental pourrait avoir comme source des conditions de travail différentes. En tout cas, c'est ce que me semble évoquer certains messages.
« L'instit de rien du tout », enseignant en REP (ou ailleurs ?), pris dans une confrontation et un écart d'expérience immense d'avec ses élèves, trouverait dans des outils de la P.I des moyens de transformer en lieu de travail l'espèce de gouffre abyssal qui semble séparer ses désirs à lui de la manière d'être au monde de ses élèves.
Soit que la P.F ne serait praticable que dans certaines conditions et dans certains milieux (interprétation n°1).
Soit que la violence de l'écart fasse provisoirement écran à la « vérité » de la P.F (interprétation n°2).


Est-ce que, déjà, c'est une description qui vous semble fidèle ou pas du tout ?
Jean Teissier
GD 69 - FREM-CE - Secteur Étude du milieu - Secteur Corps - CA de l'ICEM
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