Je pense utile de nous appuyer prioritairement sur les textes et les pratiques de Freinet et des compagnons.
C'est important pour les nouvelles générations. L'enjeu est celui de la transmission de la culture commune.
Certes, les pratiques évoluent, il ne s'agit pas d'arrêter le temps aux années 1960.
Certes, la pédagogie Freinet admet diverses interprétations selon nos personnalités, ou notre niveau d'avancement
MAIS on ne peut pas en conclure pour autant que chacun peut s'en revendiquer à son gré, sans considération ni compréhension des principes fondamentaux.
L'argument "moi je fais comme ça" peut exprimer un manque de modestie, un refus d'apprentissage, une indifférence à des décennies d'expérimentations coopératives, etc.
La tradition coopérative du compagnonnage, qui a fait le mouvement Freinet, suppose d'accepter d'apprendre de celles et ceux qui ont appris, et par conséquent de les identifier.
Ce dernier point soulèvera sans doute des réactions épidermiques au nom, peut-être, de l'horizontalité, ce qui est un autre débat, qui mériterait d'être collectivement conduit.
Je ne présente pas mon point de vue, mais celui de Freinet, le plus brièvement possible. Et pour commencer, cette formule :
Notre pédagogie est à base de vie. Tout ce qui sert la vie y a sa place.
1) description du déroulement de la réunion en pédagogie Freinet, d'après Freinet.
Le groupe classe rassemblé, l'élève président de séance anime les échanges, et l'élève secrétaire inscrit l'essentiel dans le cahier de secrétariat. L'instit participe, en retrait, à l'animation et lève le doigt pour parler
a) le rappel
la/le secrétaire lit, dans
le cahier de secrétariat, les décisions de la séance précédente, et note les éventuelles nouvelles remarques/décisions.
On vérifie que les décisions de la séance précédente ont bien été prises en compte.
b) la réunion commence
on décroche
le journal mural qui était disponible toute la semaine affiché en grand sur un mur, et qui contient les remarques écrites des enfants.
Il comprend 4 colonnes, dont on va discuter successivement, en guise d'ordre du jour, en lisant ce qui a été écrit par les enfants. La/le président pose la question pour lancer la discussion :
- je critique : "qui critique ?"
- je propose (ou j'ai réalisé) : "qui propose ?"
- je voudrais : "qui voudrait ?"
- je félicite : "qui félicite ?"
La/le secrétaire note les remarques et décisions au fur et à mesure (il peut y avoir un secrétaire qui lit, l'autre qui écrit ; si les enfants sont trop petits, ou pas encore aguerris, c'est l'instit qui le fait)
Dans certaines classes, au lieu des 4 énoncés, on construit ensemble un ordre du jour différent chaque semaine, en fonction des événements et des besoins (sur le tableau, par exemple).
2) Remarques sur la conception de la réunion coopérative
Ce n'est pas la loi, ni les règles qui priment,
c'est la vie.
L'enjeu, c'est
l'organisation vivante du travail et de la
vie collective démocratique
l'atmosphère est celle du
sérieux (le travail bien fait) et de
la joie de vivre
On met en valeur le travail, c'est pour mieux travailler (et pas un exercice de communication)
On ne fait pas de leçons de morale, on ne suit pas des normes abstraites, il ne s'agit pas d'une théorie qu'on applique
Ce ne sont pas les procédures qui priment, c'est le
mouvement sensible du désir, attaché au travail et à la vie commune
On parle de ce qui se passe réellement, au quotidien, en fonction
des besoins
On valorise l'expérience elle-même, le vécu (la règle ne commande pas, elle est commandée)
On valorise la réussite, la satisfaction du travail bien fait, même très modeste (on ne stigmatise pas les échecs
Il y a
très peu de sanctions, ou pas du tout
quand il y en a, ce ne sont que des réparations, sous forme d'un
service utile à la communauté, un travail, donc, selon une culture de
la promesse que l'on fait (et non de la punition qu'on subit)
La réunion n'est pas un tribunal d'enfants, elle n'a pas de fonction juridique ; ce n'est pas non plus le lieu d'une confession ; ce n'est pas un instrument au service d'un pouvoir dissimulé de l'instit
C'est un lieu de
régulation joyeuse du travail et de la vie commune, plus de l'ordre de l'
affect (que de la loi)
Après une réunion, dit Freinet, les enfants sont heureux d'avoir discuté de
ce qui leur tient à cœur, et de s'être déchargés de
ce qui les perturbe (mauvaises actions, tristesses, etc.)
Le mode de relation est celui de
la franchise (la "parrhesia", le courage de la vérité), de
la camaraderie (affect commun fraternel) et de la rationalité (pas des impulsions égoïstes)
Pour conclure,
ce n'est pas l'institution qui commande. Ce sont les enfants qui commandent et régulent l'institution,
de façon sensible et loyale.
Ils forment l'institution qui les forme (car les institutions sont des machines à fabriquer des dispositions, ici, des dispositions coopératives)
La classe devient progressivement "la chose même de chaque enfant" (Freinet), la réunion coopérative exprime
la souveraineté collective des enfants sur leur propre travail.
Nicolas Go