Après la lecture de "comment l'école reproduit-elle les inégalités ?"
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Après la lecture de "comment l'école reproduit-elle les inégalités ?"
Bonjour,
"Comment l'école reproduit-elle les inégalités", de Sébatien Goudeau, aux presses universitaire de Grenoble (très concret, plutôt facile à lire)
Ce petit livre m'a beaucoup intéressée parce qu'il permet de comprendre les mécanismes concrets qui créent les différences de réussite entre les élèves et étudiants de classes sociales différentes.
J'ai souvent lu le constat que "l'école française reproduit, voir aggrave les inégalités sociales". Et en tant qu'enseignante de bonne volonté, c'est assez insupportable comme idée. Ça se passe malgré moi, malgré nous. Dans ce livre, on comprend ce qui se joue concrètement dans la classe, et sur quoi on peut agir pour ne pas participer à ce cercle vicieux.
Je résume rapidement ce que j'ai compris comme idée principale, pour que celles et ceux qui n'ont pas lu le livre puissent participer à la discussion.
L'hypothèse de base, c'est que la culture transmise par les familles socialement favorisées est beaucoup plus proche de celle de l'école que celle transmise par les familles des classes populaires. Bon, ça, on savait. Il y a aussi l'idée, apparemment assez ancrée, que l'intelligence est innée. Donc quand on met des enfants dans une situation de mesurer leur performance scolaire en se comparant les uns les autres, les élèves qui ont appris les choses scolaires dans leur famille réussissent, et les autres moins. Ces autres en concluent "je suis nul, bête", et leur réussite s'en ressent. (Je résume rapidement.) Il y a aussi la "menace du stéréotype" : comme ils savent, inconsciemment, qu'ils vont moins bien réussir, ils réussissent moins bien.
Ce matin, en classe, j'ai vécu une situation en lien direct avec ce bouquin, qui m'a questionnée. J'aimerai bien avoir votre avis dessus.
Le contexte : créations mathématiques en classe de CE1-CE2. Je travaille avec une demi-classe, des élèves de CE1 et de CE2 sont présentes. Parmi les créations affichées, la table de multiplication par 5, sans les résultats (1x5 = , 2x5 =, 3x5 =...)
Les CE1 ne sont pas censés connaître le sens du signe x, pourtant l'un d'eux le connaît et il en est très fier (avec en plus une attitude pas du tout humble).
J'ai dit que les CE1 n'étaient pas censés connaître, j'ai fait expliquer par un CE2, mais c'était assez laborieux. D'une manière générale, pendant ces séances de création mathématiques (je débute tout juste), je m'appuie beaucoup sur ce que les enfants savent déjà. La lecture du livre de Goudeau me questionne : je m'appuie sur ce que l'école a transmis ou sur leur culture de classe (sociale) ???? Comment faire la part des choses ? En même temps, ça paraît compliqué de passer outre ce qu'ils savent, mais l'enjeu est que les autres ne se sentent pas nuls. Concrètement, je ne sais pas trop quelle posture adopter. C'est un questionnement qui peut se généraliser à plein de moments de la classe. Dans ces moments, j'hésite à prendre ma casquette de "maîtresse qui sait tout et qui explique tout", alors que j'aimerai bien justement la lâcher un peu !
Qu'en pensez-vous ? Est-ce que vous vous reconnaissez dans ce questionnement et ces tâtonnements ?
"Comment l'école reproduit-elle les inégalités", de Sébatien Goudeau, aux presses universitaire de Grenoble (très concret, plutôt facile à lire)
Ce petit livre m'a beaucoup intéressée parce qu'il permet de comprendre les mécanismes concrets qui créent les différences de réussite entre les élèves et étudiants de classes sociales différentes.
J'ai souvent lu le constat que "l'école française reproduit, voir aggrave les inégalités sociales". Et en tant qu'enseignante de bonne volonté, c'est assez insupportable comme idée. Ça se passe malgré moi, malgré nous. Dans ce livre, on comprend ce qui se joue concrètement dans la classe, et sur quoi on peut agir pour ne pas participer à ce cercle vicieux.
Je résume rapidement ce que j'ai compris comme idée principale, pour que celles et ceux qui n'ont pas lu le livre puissent participer à la discussion.
L'hypothèse de base, c'est que la culture transmise par les familles socialement favorisées est beaucoup plus proche de celle de l'école que celle transmise par les familles des classes populaires. Bon, ça, on savait. Il y a aussi l'idée, apparemment assez ancrée, que l'intelligence est innée. Donc quand on met des enfants dans une situation de mesurer leur performance scolaire en se comparant les uns les autres, les élèves qui ont appris les choses scolaires dans leur famille réussissent, et les autres moins. Ces autres en concluent "je suis nul, bête", et leur réussite s'en ressent. (Je résume rapidement.) Il y a aussi la "menace du stéréotype" : comme ils savent, inconsciemment, qu'ils vont moins bien réussir, ils réussissent moins bien.
Ce matin, en classe, j'ai vécu une situation en lien direct avec ce bouquin, qui m'a questionnée. J'aimerai bien avoir votre avis dessus.
Le contexte : créations mathématiques en classe de CE1-CE2. Je travaille avec une demi-classe, des élèves de CE1 et de CE2 sont présentes. Parmi les créations affichées, la table de multiplication par 5, sans les résultats (1x5 = , 2x5 =, 3x5 =...)
Les CE1 ne sont pas censés connaître le sens du signe x, pourtant l'un d'eux le connaît et il en est très fier (avec en plus une attitude pas du tout humble).
J'ai dit que les CE1 n'étaient pas censés connaître, j'ai fait expliquer par un CE2, mais c'était assez laborieux. D'une manière générale, pendant ces séances de création mathématiques (je débute tout juste), je m'appuie beaucoup sur ce que les enfants savent déjà. La lecture du livre de Goudeau me questionne : je m'appuie sur ce que l'école a transmis ou sur leur culture de classe (sociale) ???? Comment faire la part des choses ? En même temps, ça paraît compliqué de passer outre ce qu'ils savent, mais l'enjeu est que les autres ne se sentent pas nuls. Concrètement, je ne sais pas trop quelle posture adopter. C'est un questionnement qui peut se généraliser à plein de moments de la classe. Dans ces moments, j'hésite à prendre ma casquette de "maîtresse qui sait tout et qui explique tout", alors que j'aimerai bien justement la lâcher un peu !
Qu'en pensez-vous ? Est-ce que vous vous reconnaissez dans ce questionnement et ces tâtonnements ?
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Re: Après la lecture de "comment l'école reproduit-elle les inégalités ?"
Merci Lily pour ce partage très détaillé.
J'aurais envie de dire que les inégalités sont là. Après, c'est comment faisons-nous collectivement pour permettre à chacun·e de pouvoir avancer ?
J'aurais envie d'être sur la notion de partage des savoirs, des compétences :
Individuellement, nous sommes riches de savoirs et compétences variés.
L'enjeu dans la classe, le groupe, c'est de permettre à chacun·e de pouvoir s'approprier tout cela.
La responsabilité collective serait de dire : si quelqu'un·e ne sait pas, c'est de notre responsabilité de l'aider.
Autre réflexion :
Contrairement aux autres biens, le savoir a cette particularité que quand on le partage, on ne s'appauvrit pas (et souvent on s'enrichit !).
Quand j'ai partagé, je suis toujours en possession du savoir que j'ai partagé.
La seule chose qui change, c'est le pouvoir que je peux avoir sur les autres :
quand je suis seul·e à savoir, j'ai du pouvoir. Quand j'accepte de partager, je perds ce pouvoir.
En classe, je pense qu'on peut accueillir les savoirs et remercier les élèves qui partagent en le disant explicitement (ça permet de signifier qu'il n'y a pas que l'adulte qui sait).
Un autre point d'appui, cela peut être les marchés de connaissances qui, parce qu'on peut les centrer sur autres choses que les savoirs scolaires, sont un outil qui fait bouger les lignes.
Qu'en pensez-vous ?
Patrick
J'aurais envie de dire que les inégalités sont là. Après, c'est comment faisons-nous collectivement pour permettre à chacun·e de pouvoir avancer ?
J'aurais envie d'être sur la notion de partage des savoirs, des compétences :
Individuellement, nous sommes riches de savoirs et compétences variés.
L'enjeu dans la classe, le groupe, c'est de permettre à chacun·e de pouvoir s'approprier tout cela.
La responsabilité collective serait de dire : si quelqu'un·e ne sait pas, c'est de notre responsabilité de l'aider.
Autre réflexion :
Contrairement aux autres biens, le savoir a cette particularité que quand on le partage, on ne s'appauvrit pas (et souvent on s'enrichit !).
Quand j'ai partagé, je suis toujours en possession du savoir que j'ai partagé.
La seule chose qui change, c'est le pouvoir que je peux avoir sur les autres :
quand je suis seul·e à savoir, j'ai du pouvoir. Quand j'accepte de partager, je perds ce pouvoir.
En classe, je pense qu'on peut accueillir les savoirs et remercier les élèves qui partagent en le disant explicitement (ça permet de signifier qu'il n'y a pas que l'adulte qui sait).
Un autre point d'appui, cela peut être les marchés de connaissances qui, parce qu'on peut les centrer sur autres choses que les savoirs scolaires, sont un outil qui fait bouger les lignes.
Qu'en pensez-vous ?
Patrick
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Re: Après la lecture de "comment l'école reproduit-elle les inégalités ?"
Malgré son attitude, ma foi assez compréhensible pour un enfant de 7 ans, cet élève de CE1 n'a-t-il pas partagé des connaissances? Sa création concernant la multiplication n'est-elle pas une porte vers une situation qui tirerait tout le groupe vers le haut, et donc participerait à une réduction des inégalités, même ponctuelle? Si les CE2 ne savaient pas trop expliquer, n'était-ce pas là l'occasion de mettre en place des travaux qui auraient fait découvrir la multiplication aux autres CE1, et fait consolider les connaissances des CE2?
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Re: Après la lecture de "comment l'école reproduit-elle les inégalités ?"
Merci pour le partage de cette situation.
Je pense aussi que les inégalités sont là et que ce que nous pouvons espérer c'est de favoriser les transferts de connaissances entre élèves.
Je reviens à la situation. Cela m'arrive aussi souvent de demander à un élève de dire aux autres ce qu'il sait du point qui pose question. Et comme ton élève de CE2, le résultat est souvent laborieux. Souvent, c'est moi qui prends le relai et je finis par dire la définition ou la méthode qui manque. Mais cela ne me satisfait pas vraiment. Dire clairement ses connaissances, c'est une vraie compétence et je pense que c'est cette compétence qu'il faudrait faire travailler aux élèves pour favoriser les transferts de connaissances entre eux. Après se pose la question de comment faire cela ?
Je pense aussi que les inégalités sont là et que ce que nous pouvons espérer c'est de favoriser les transferts de connaissances entre élèves.
Je reviens à la situation. Cela m'arrive aussi souvent de demander à un élève de dire aux autres ce qu'il sait du point qui pose question. Et comme ton élève de CE2, le résultat est souvent laborieux. Souvent, c'est moi qui prends le relai et je finis par dire la définition ou la méthode qui manque. Mais cela ne me satisfait pas vraiment. Dire clairement ses connaissances, c'est une vraie compétence et je pense que c'est cette compétence qu'il faudrait faire travailler aux élèves pour favoriser les transferts de connaissances entre eux. Après se pose la question de comment faire cela ?
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Re: Après la lecture de "comment l'école reproduit-elle les inégalités ?"
Merci pour vos réponses.
Je pense comme vous que plein d'inégalités préexistent à l'école, évidemment, on n'a pas de prise sur ça (enfin pas dans le cadre de la classe). Mais je crois qu'il y a vraiment un enjeu à se demander comment ne pas les accentuer. Je vous mets un passage du livre :
Effectivement A a apporté une nouvelle connaissance dans la classe qui enrichit tout le monde, mais ce qui me fait peur c'est plutôt l'aspect "émotionnel" ou inconscient qui ce qui se joue.
Xavier, je me reconnais aussi dans ce que tu décris ! Je me dis que c'est à force d'entrainer les enfants à expliquer qu'ils deviendront meilleurs, mais ça ne résous pas la question du comment.
J'aime bien l'idée du marché de connaissances. Ça permet de valoriser ce que savent les enfants et qui ne rentrent pas forcément dans le champ scolaire tel qu'ils le perçoivent. Est-ce que vous auriez des ressources là dessus ?
Je pense comme vous que plein d'inégalités préexistent à l'école, évidemment, on n'a pas de prise sur ça (enfin pas dans le cadre de la classe). Mais je crois qu'il y a vraiment un enjeu à se demander comment ne pas les accentuer. Je vous mets un passage du livre :
Ce que j'en comprends c'est que justement le partage des connaissances d'élève à élève n'est pas forcément bénéfique, car il peut induire de la comparaison sociale. Si A explique les multiplications alors qu'on a pas encore vu ça "officiellement" ensemble, B risque d'en tirer comme conclusion que s'il ne les connait pas c'est parce qu'il est bête."Mais pourquoi la réussite des autres est-elle menaçante ? Pourquoi n'est-elle pas plutôt une source d'inspiration ou de motivation ? En effet, sous certaines conditions, la réussite des autres peut être une source d'inspiration bénéfique pour l'image de soi et les performances. Toutefois, une des conditions pour que cet effet inspirant soit possible est que l'élève perçoive la réussite d'autrui comme atteignable. Or, les écarts de réussite qui sont donnés à voir dans la classe sont bien souvent perçus comme le reflet de différences individuelles ou de motivation. Le fait de penser que l'on est moins intelligent que les autres, que ces différences sont stables et donc qu'il n'est pas possible de réduire l'écart entre soi et autrui, est menaçant pour l'image de soi. Cette tendance à interpréter les écarts de réussite comme le produit de dispositions internes est favorisée par le fait que la classe est supposée être un environnement juste. Les élèves n'ont donc guère d'autre choix que d’interpréter les écarts de réussite comme le révélateur de différences individuelles de capacités ou d'efforts. Ce que les élèves ne réalisent pas, en revanche, c'est que la situation dans laquelle ils ou elles se trouvent n'est pas aussi équitable qu'elle semble l'être. (...) Il est pourtant aujourd'hui bien établi que ce qui se passe en dehors des murs de l'école joue un rôle déterminant dans ce qui se joue à l'intérieur de la salle de classe. La probabilité de (...) faire l'expérience de comparaisons sociales défavorables n'est pas répartie aléatoirement dans la classe. En effet, en raison de leur socialisation familiale, les élèves se retrouvent à une inégale distance de la culture scolaire."
Effectivement A a apporté une nouvelle connaissance dans la classe qui enrichit tout le monde, mais ce qui me fait peur c'est plutôt l'aspect "émotionnel" ou inconscient qui ce qui se joue.
Xavier, je me reconnais aussi dans ce que tu décris ! Je me dis que c'est à force d'entrainer les enfants à expliquer qu'ils deviendront meilleurs, mais ça ne résous pas la question du comment.
J'aime bien l'idée du marché de connaissances. Ça permet de valoriser ce que savent les enfants et qui ne rentrent pas forcément dans le champ scolaire tel qu'ils le perçoivent. Est-ce que vous auriez des ressources là dessus ?
- Jean Teissier
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- Enregistré le : lun. 3 mai 2021 17:46
Re: Après la lecture de "comment l'école reproduit-elle les inégalités ?"
Parler d'inégalités ou de domination ?
La partie chiante où j'ennuie tout le monde avec des questions sémantiques... si ça vous gonfle, vous pouvez passer directement à la deuxième partie de ce trop long message.Il me semble que ce dont parle Lily est assez mal décrit par le terme « d'inégalités ».
A mon sens, en tout cas, en parlant d'inégalités, je me place en retrait, à l'écart, du phénomène dont je parle.
Je m'en fais l'observateur ou le juge extérieur.
Et, depuis cette position non-impliquée, je ne peux, au fond, que constater leur existence. Comme une sorte de fatalité. De fait qui, parce qu'il me précède, ne peut pas être mon fait, à moi aussi.
En lisant ce que tu as écrit, Lily, d'autres mots me sont venus à l'esprit. D'abord celui de « structure » puis, par extension, celui de « domination ».
La proposition qui pique, qui révolte et qui angoisse serait plutôt quelque chose comme : la reproduction des hiérarchies sociales et leur légitimation est un phénomène qui structure notre école.
Il ne s'agit pas d'un épiphénomène, d'un usage détourné ou de la corruption d'une source pure. Il s'agit d'un de ses principes organisateurs fondamentaux. Pour piquer la formule d'un Franck Lepage (qui a le sens de la punchline) :
« Quand ils entrent à l'école, les pauvres sont pauvres. Quand ils en sortent, ce sont des cons. »
L'école leur a donné leur chance, à eux comme aux riches, et ils l'ont gâchée : ils n'ont pas réussi à...
Le passage par l'école – par son ordre, ses objets légitimes, ses programmes... – convertit des différences matérielles en une hiérarchie légitime.
Cela, je ne connais pas un.e seul.e enseignant.e qui chercherait à le faire advenir.
Je n'ai jamais rencontré que des enseignant.es qui cherchent à aider les enfant à « avancer » (mais vers où ?).
Pourtant le phénomène persiste.
Il ne dépend pas des intentions, plus ou moins vertueuses, des acteurs et actrices de l'école.
Il est inscrit dans ses fondements : son appréhension du temps, son appréhension de l'espace, les objets qu'elle valorise et les rôles qu'elle détermine. Toute une série de préalables qui nous structure toutes et tous, avec ou malgré nous, à chaque fois que nous acceptons de jouer le jeu des institutions, plutôt que d'en mettre en cause les fondements.
Or personne ne passe chaque instant de sa vie à mettre en cause les fondements des lieux institués où elle travaille ou habite. Et, sauf à quitter la société et à partir vivre en ermite, tout le monde « joue le jeu » des relations en place, au moins en partie.
L'école, dans laquelle nous travaillons, est une institution disciplinaire, qui est organisée pour fonctionner dans l'ordre social actuel. Elle contribue à le reproduire. Et ceux et celles qui agissent à l'intérieur de son cadre participent, de fait, à cette reproduction.
Je sais ce que ce genre de discours a de révoltant ou d'angoissant : il ridiculise nos intentions et il n'offre aucune issue.
C'est une des difficultés avec les « dominations » : pointant des phénomènes collectifs, sédimentés et de longue haleine, elles échappent à mon pouvoir de les résoudre en tant que « je, ici, maintenant ». Seul.e, même dans un espace que je maîtrise (la classe), même dans un temps que je contrôle (le temps de classe)... je ne peux pas agir réellement.
J'abrège cette partie théorico-gnangnan. Elle est déjà trop longue.
Il s'agissait juste d'un effort pour prendre au sérieux la question. De la prendre aussi pour moi, je veux dire.
Et, du coup, de ne pas faire croire que les pauvres pistes que je vais proposer ci-dessous seraient « la clé », la bonne solution technique à un problème qui n'est pas un problème technique mais une tension politique (et pesante... et prégnante depuis le XVIIIe... et... et... et...).
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Accumuler ou répondre
Ce qui me frappe dans la situation que tu présentes, Lily, c'est qu'elle concerne un savoir scolaire : la table de 5. C'est un objet de savoir. Et c'est un objet de savoir légitime à l'école, puisque ça fait partie de ces « choses qu'il faut savoir ». J'irai même jusqu'à dire que c'est un objet de savoir d'autant plus légitime que « tout le monde le sait qu'il faut savoir ça », en particulier les parents passés par l'école française (« Et quand est-ce qu'il va apprendre ses tables ? »...etc.)
Ce n'est pas neutre que de proposer un objet du savoir scolaire, lors d'une création mathématique.
N'étant pas dans la classe, n'en connaissant ni l'histoire collective, ni l'histoire singulière de son auteur ou de son autrice, je ne vais pas me lancer dans des hypothèses sur ce qu'une telle proposition a signifié, en l'occurrence, pour les un.es et pour les autres.
Mais, en tout cas, ce n'est pas neutre.
Et ce n'est pas très surprenant que cela active chez certain.es, voire chez tout le monde, des attitudes de valorisation / dévalorisation réciproques : l'école utilise les « savoirs » pour fabriquer des hiérarchies sachants / ignorants.
Au sommet de cette hiérarchie, et pour toute éternité, trône le maître ou la maîtresse. Les élèves, en « apprenant bien leurs leçons », ne peuvent que se rapprocher un peu de ces soleils.
L'école fabrique de la hiérarchie en délimitant les objets de savoirs légitimes.
Comme le faisait remarquer un collègue du GD bossant en maternelle, à propos de son coin bricolage : « C'est marrant quand même... On reprochera aux enfants entrant en CP de ne pas savoir tracer leurs lettres. Mais on ne leur reprochera jamais de ne pas savoir visser un écrou. »
Mais, plus fondamentalement, elle fabrique de la hiérarchie en donnant à la question de savoir la forme d'objets.
A l'école, apprendre et progresser, c'est accumuler des objets intellectuels : des savoirs. Et c'est être capable de montrer qu'on les maîtrise en réussissant des exercices qui présentent ces « savoirs » sous des formes prototypiques.
Notons au passage que le trip actuel des compétences, malgré son intention affichée (« le savoir, ce n'est pas que des énoncés à connaître par cœur, ce sont aussi des savoir-faire et des savoir-être ») loin de contrebalancer cette propension à produire des objets, l'étend à des champs qui, auparavant, lui échappaient. Un savoir-faire est la définition d'une réponse conforme à une injonction. Un savoir-être est la définition d'une attitude conforme à des conventions sociales. Bref...
Cette objectivation ne va pas de soi et n'est pas sans effet.
Du tissu de nos échanges quotidiens, elle extrait une donnée et en fait un objet d'intérêt : « Ça, c'est important ; ça, c'est un savoir. »
Par ricochet, l'ensemble des autres paroles et gestes qui ne sont pas ainsi valorisées, apparaissent comme sans importance ou sans intérêt.
C'est ainsi qu'on isole des génies de la masse : en isolant leurs œuvres du tissu d'intenses échanges où elles trouvent leur origine et auquel elles cherchent à répondre. Privilège du buteur ou du quaterback.
Et pourtant... « la marche d'une analyse inscrit ses pas, réguliers ou zigzagants, sur un sol habité depuis longtemps » (Michel de Certeau).
Personne ne pense, raisonne ou réussit seul.e. L'acte de penser – et les connaissances qu'elle permet de construire – est une manière de répondre aux autres, de réagir à ce qu'ils et elles disent.
Il y a, je crois, une manière de penser le savoir, non comme un objet à capter, mais comme un moyen de faire signe vers d'autres. Principalement les gens qui m'entourent, me parlent et m'incitent à réfléchir.
C'est, pour moi, l'enjeu fondamental et la puissance spécifique des textes libres (français écrit, maths, dessins...etc.).
- Il s'agit, pour son auteur ou son autrice, d'une prise de parole mise en partage, livrée au groupe. C'est toujours une prise de risque. Plus ou moins grande.Il y a, déjà, là, une recherche de reconnaissance. Et donc un enjeu du côté de l'accueil de ces paroles qui émergent, qu'elles soient scolairement valables et d'une étrangeté angoissante (« mais qu'est-ce que je vais faire de ce truc ? » Toi, personnellement, peut-être rien mais, à la limite, tan pis-tant mieux... montre que tu le prends au sérieux et écoute ce que ça évoque dans le groupe : il va peut-être se passer un truc...).Dans ce premier temps, au moment de cette émergence, ma responsabilité de maître, pour éviter de réactiver immédiatement une hiérarchie de savoir, c'est d'accueillir ces paroles et de les accueillir toutes de la même manière. Non parce que je vois le « savoir » en germe dans chacune d'elle : c'est loin d'être le cas, la plupart du temps, je n'y vois rien... mais parce que je sais que cette parole ne vient pas de nulle part et ne s'adresse pas à n'importe qui. Elle cherche à nous faire signe, soit au groupe, soit au maître (moi), soit aux deux.
- Cette mise en partage suscite un dialogue au sein du groupe. La prise de parole initiale suscite des prises de parole, en échos ou en écarts... mais dans tous les cas en retours.Au sein de ce dialogue, ma responsabilité est la même : modéliser une logique de réponse. Montrer que toutes ces paroles méritent d'être considérées (quitte à estimer qu'elles ne sont pas pertinentes finalement. C'est pas un « tout se vaut »... mais ce choix entre une voie plutôt qu'une autre ne se fait pas au titre de la légitimé des savoirs utilisés mais en fonction de leur ajustement au dialogue en cours, ici et maintenant. Mon critère de discernement est le respect des paroles prononcées par les autres).
- Il se trouve que, dans ce cadre qui tente de se décaler d'une logique de distinction des sachant.es, il arrive qu'on se prenne à évoquer / utiliser / interroger des « objets de savoir » scolaires.Lorsqu'ils surviennent au sein d'une habitude construite de dialogue pédagogique, ils ont plus de chance de se présenter, sans ce poids de jugement qu'ils ont lorsque ce sont des techniques à maîtriser. Ce n'est pas une garantie : ils sont et demeurent des objets valorisés par le système scolaire.Mais s'ils font déraper la logique dialogique (par exemple, si c'est plus que les fort.es en maths qui tiennent le crachoir et que tous les autres commencent à regarder leurs doigts de pied en attendant que ça passe), au moins, ma question n'est plus : « comment faire pour qu'il n'y ait plus d'écart entre les sachant.es et les autres ? » mais « là, ça a foiré : comment faire, la prochaine fois, pour rendre la parole à celles et ceux qui, aujourd'hui, en ont été exclu.es ? »J'ai pas de solution miracle à vous proposer. Mais je trouve cette seconde question moins angoissante et plus féconde.
Ah et sinon, concernant les marchés de connaissances... c'est très chouette. Avant le COVID, on en organisait deux par an dans l'école.
Mais du coup, à force, m'est venue une question : deux par an, ça reste des moments-Carnaval... c'est-à-dire des moments où les normes s'inversent (ce sont les enfants qui enseignent et plus les adultes) pour une journée. Puis les hiérarchies habituelles reprennent leurs cours.
Du coup, si des personnes l'ayant pratiqué passent dans le coin et ont des idées / expériences pour pousser ces moments plus loin... je suis preneur, moi aussi !
Désolé pour la longueur.
Jean Teissier
GD 69 - FREM-CE - Secteur Étude du milieu - Secteur Corps - CA de l'ICEM
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- Enregistré le : mer. 5 mai 2021 16:37
Re: Après la lecture de "comment l'école reproduit-elle les inégalités ?"
Merci Jean pour cette réponse en longueur.
En te lisant utiliser le terme de domination, je me rends compte que c'est en effet de ça qu'il est question.
La fin me parle beaucoup : "comment faire, la prochaine fois, pour rendre la parole à celles et ceux qui, aujourd'hui, en ont été exclu.es ?" (et qui ont regardé leurs doigts de pieds en écoutant les autres étaler leur savoir...)
Tu parles d'accueil des paroles (textes libres, création maths, etc) et du dialogue que suscite les partages. Je comprends que pour toi, ce qui permet au dialogue de se créer sans exclure des "non-sachants", c'est l'accueil inconditionnel des créations. (Je reformule pour que tu me dises si je suis à côté de la plaque...)
Ça me fait penser à un échange que nous avons eu au sein du GD, où je montrais justement les premières créations mathématiques de mes élèves. Les élèves, tout comme moi, débutent dans cette pratique. Les premières créations étaient donc pour la plupart de l'ordre du dessin, type un personnage avec une bulle de BD et des calculs dedans. Nous nous sommes demandé : faut-il, en tant qu'enseignant.e, faire comprendre qu'au moment des créations mathématiques, on ne veut pas de dessin ? Est-ce qu'on refuse ces créations-là, pour amener les enfants vers un contenu plus mathématique ? Ou est-ce que ça va se faire "naturellement", au fil des dialogues à propos des créations "vraiment" mathématiques ?
Il y a un enjeu d'efficacité pour travailler les maths dans la classe, mais je me demande s'il n'y a pas aussi un enjeu politique (les maths, ce merveilleux outil de sélection scolaire), quelque chose qui se joue du côté de l'image de soi des enfants (moi j'aime pas les maths, je ne vais pas réussir à faire une création math et en plus la maîtresse a refusé mon dessin, je suis nul, etc).
Ce sont des réflexions du dimanche soir, non abouties (pourront-elles jamais l'être ?), à continuer dans l'échange avec vous...
En te lisant utiliser le terme de domination, je me rends compte que c'est en effet de ça qu'il est question.
La fin me parle beaucoup : "comment faire, la prochaine fois, pour rendre la parole à celles et ceux qui, aujourd'hui, en ont été exclu.es ?" (et qui ont regardé leurs doigts de pieds en écoutant les autres étaler leur savoir...)
Tu parles d'accueil des paroles (textes libres, création maths, etc) et du dialogue que suscite les partages. Je comprends que pour toi, ce qui permet au dialogue de se créer sans exclure des "non-sachants", c'est l'accueil inconditionnel des créations. (Je reformule pour que tu me dises si je suis à côté de la plaque...)
Ça me fait penser à un échange que nous avons eu au sein du GD, où je montrais justement les premières créations mathématiques de mes élèves. Les élèves, tout comme moi, débutent dans cette pratique. Les premières créations étaient donc pour la plupart de l'ordre du dessin, type un personnage avec une bulle de BD et des calculs dedans. Nous nous sommes demandé : faut-il, en tant qu'enseignant.e, faire comprendre qu'au moment des créations mathématiques, on ne veut pas de dessin ? Est-ce qu'on refuse ces créations-là, pour amener les enfants vers un contenu plus mathématique ? Ou est-ce que ça va se faire "naturellement", au fil des dialogues à propos des créations "vraiment" mathématiques ?
Il y a un enjeu d'efficacité pour travailler les maths dans la classe, mais je me demande s'il n'y a pas aussi un enjeu politique (les maths, ce merveilleux outil de sélection scolaire), quelque chose qui se joue du côté de l'image de soi des enfants (moi j'aime pas les maths, je ne vais pas réussir à faire une création math et en plus la maîtresse a refusé mon dessin, je suis nul, etc).
Ce sont des réflexions du dimanche soir, non abouties (pourront-elles jamais l'être ?), à continuer dans l'échange avec vous...
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- Enregistré le : jeu. 6 mai 2021 14:33
Re: Après la lecture de "comment l'école reproduit-elle les inégalités ?"
Bonjour,
Le premier message de Lily m'incitait à réagir et puis la suite des échanges m'a retenu, en effet je n'ai pas envie de me lancer dans ces grands débats (qui ne datent pas d'hier, je les ai toujours connus).
Je vais peut-être choquer mais je pense que le sujet ne concerne pas la pédagogie Freinet.
Ce débat s'appuie sur les pratiques traditionnelles : transmission verticale, apprentissage directif, soumission
En effet pour moi l'objectif en pédagogie Freinet, c'est de permettre à chacun le développement le plus élevé possible.
Certains enseignants d'autres mouvements pédagogiques ont parfois attaqué nos pratiques sous prétexte d'accroître des inégalités, certains enfants profitant mieux des possibilités d'expression, de création que d'autres.
Oui, moi je crois que la pédagogie Freinet profite encore plus à certains enfants qui depuis la petite enfance ont eu des conditions de vie favorables à leur développement
Mais je ne pense pas souhaitable de tenter le nivellement par le bas.
Le droit à l'excellence n'implique surtout pas le sentiment de supériorité (donc d'infériorité)
Au contraire, permettre à chacun de se réaliser et les créations de certains ne bloquent pas celles des autres lorsqu'on est dans une classe où l'expression, la communication, la coopération sont permanentes.
S'il n'y a ni notes, ni classements, ni évaluation (fut-elle dite formative), qu'il y a prise en compte de tous les apports, sans hiérarchie, l'idée d'infériorité ne devrait pas se développer.
A l'enseignant de toujours être à l'écoute et de profiter de chaque occasion pour valoriser le plus timide, le plus en difficulté.
Double intérêt : pour l'enfant qui se trouve valorisé, pour les autres qui le reconnaissent comme créateur.
Pour le questionnement de Lily (premier message), à l'élève qui a présenté sa "création" d'expliquer ce qu'il a voulu dire.
Pas besoin de parler de multiplication.
Et surtout ne pas faire apprendre les tables !!!!
A suivre
BM
Le premier message de Lily m'incitait à réagir et puis la suite des échanges m'a retenu, en effet je n'ai pas envie de me lancer dans ces grands débats (qui ne datent pas d'hier, je les ai toujours connus).
Je vais peut-être choquer mais je pense que le sujet ne concerne pas la pédagogie Freinet.
Ce débat s'appuie sur les pratiques traditionnelles : transmission verticale, apprentissage directif, soumission
En effet pour moi l'objectif en pédagogie Freinet, c'est de permettre à chacun le développement le plus élevé possible.
Certains enseignants d'autres mouvements pédagogiques ont parfois attaqué nos pratiques sous prétexte d'accroître des inégalités, certains enfants profitant mieux des possibilités d'expression, de création que d'autres.
Oui, moi je crois que la pédagogie Freinet profite encore plus à certains enfants qui depuis la petite enfance ont eu des conditions de vie favorables à leur développement
Mais je ne pense pas souhaitable de tenter le nivellement par le bas.
Le droit à l'excellence n'implique surtout pas le sentiment de supériorité (donc d'infériorité)
Au contraire, permettre à chacun de se réaliser et les créations de certains ne bloquent pas celles des autres lorsqu'on est dans une classe où l'expression, la communication, la coopération sont permanentes.
S'il n'y a ni notes, ni classements, ni évaluation (fut-elle dite formative), qu'il y a prise en compte de tous les apports, sans hiérarchie, l'idée d'infériorité ne devrait pas se développer.
A l'enseignant de toujours être à l'écoute et de profiter de chaque occasion pour valoriser le plus timide, le plus en difficulté.
Double intérêt : pour l'enfant qui se trouve valorisé, pour les autres qui le reconnaissent comme créateur.
Pour le questionnement de Lily (premier message), à l'élève qui a présenté sa "création" d'expliquer ce qu'il a voulu dire.
Pas besoin de parler de multiplication.
Et surtout ne pas faire apprendre les tables !!!!
A suivre
BM
Bernard Monthubert
Informaticem
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Re: Après la lecture de "comment l'école reproduit-elle les inégalités ?"
Bonjour,
Sans doute au cours de carrière as-tu réussi à créer des habitudes de classe dans lesquelles le sentiment d’infériorité de ne se développe pas. Débutante que je suis, dans le métier comme en pédagogie Freinet, je cherchais justement à réfléchir – avec vous – aux gestes professionnels qui permettent de construire une pédagogie émancipatrice. Je suis assez surprise de te voir qualifier cela de « grand débat » qui « ne concerne pas la pédagogie Freinet ».
Pour finir (ce message, pas la discussion !), voici un passage d’un livre de Jacqueline Triguel « Etincelles pédagogiques » dans lequel je me retrouve totalement :
Sans doute au cours de carrière as-tu réussi à créer des habitudes de classe dans lesquelles le sentiment d’infériorité de ne se développe pas. Débutante que je suis, dans le métier comme en pédagogie Freinet, je cherchais justement à réfléchir – avec vous – aux gestes professionnels qui permettent de construire une pédagogie émancipatrice. Je suis assez surprise de te voir qualifier cela de « grand débat » qui « ne concerne pas la pédagogie Freinet ».
Je ne peux pas croire que par ces propos tu justifies l’entretien des inégalités. Est-ce que tu renvoies cette problématique en dehors de l’école ? Je n'ai sûrement pas compris le fond de ta pensée.Oui, moi je crois que la pédagogie Freinet profite encore plus à certains enfants qui depuis la petite enfance ont eu des conditions de vie favorables à leur développement
En quoi chercher à réduire les inégalités sociales serait du nivellement par le bas ? Je cherche à faire en sorte que tous les enfants soient inclus. Je cherche à faire en sorte que le partage du savoir ne se fasse pas dans la reproduction des logiques de domination mais soit bien au service de l’émancipation de chacun.e. Il ne s’agit pas de dire que ceux qui savent doivent se taire, se « rabaisser » au niveau de ce qui ne savent pas, mais d’inclure ceux qui savent moins. Que veux-tu dire par « nivellement par le bas » ?Mais je ne pense pas souhaitable de tenter le nivellement par le bas.
Je ne suis pas sûre qu’il y ait un droit à l’excellence. Surtout quand cette « excellence » repose sur la reproduction sociale. Certaines personnes privilégiées auraient le droit aux formations d’« excellence » et d’autres devraient se contenter des quelques petites places offertes au titre des politiques « d’égalité des chances » ? Ça aussi, c’est un débat qui ne date sans doute pas d’hier…Le droit à l'excellence n'implique surtout pas le sentiment de supériorité (donc d'infériorité)
Sur ce dernier point, je suis d’accord : « l’idée d’infériorité ne devrait pas se développer. » C’est justement ce point là que je voulais développer dans cette discussion. Des études en psychologie sociale (notamment celles citées par Goudeau dans le livre que j’ai mentionné) montrent que ce sentiment se développe dans beaucoup de cas, indépendamment de la volonté des enseignant.es. La question reste entière : comment, concrètement, éviter qu’il se développe ? Je pense que la bonne volonté individuelle des profs ne suffit pas. Penser que les pédagogues Freinet, parce qu’iels ne s’appuient pas sur « transmission verticale, apprentissage directif, soumission », échapperaient à des mécanismes par ailleurs bien ancrés dans toute la société - ça me semble assez utopiste. En tout cas, comment y échapper sans y réfléchir ?Au contraire, permettre à chacun de se réaliser et les créations de certains ne bloquent pas celles des autres lorsqu'on est dans une classe où l'expression, la communication, la coopération sont permanentes.
S'il n'y a ni notes, ni classements, ni évaluation (fut-elle dite formative), qu'il y a prise en compte de tous les apports, sans hiérarchie, l'idée d'infériorité ne devrait pas se développer.
Pour finir (ce message, pas la discussion !), voici un passage d’un livre de Jacqueline Triguel « Etincelles pédagogiques » dans lequel je me retrouve totalement :
« Nos désaccords surgissent, en particulier sur la prise en compte et la prise en charge des inégalités qui existent entre les élèves, sur les pratiques excluantes/élitistes que nous avons parfois. Problématiques essentielles, mais si difficiles à poser et à creuser que certain.es font le choix du silence et de l’indifférence, parfois même d’un violent rejet. Il reste pourtant primordial que l’habitude d’évacuer ces sujets soit sans cesse combattue, afin d’installer d’autres réflexes professionnels : en conseil des maître.sses, en conseil d’administration, en salle des personnels, il est nécessaire de poser régulièrement la question de l’éthique, des inégalités sociales, de l’exclusion des élèves en situation de handicap ou allophones, des parcours injustement différenciés, du manque d’accompagnement des familles les plus précaires, pour que s’ancre l’habitude de réfléchir différemment et d’imaginer des pistes de travail et d’impulser des luttes sociales et politiques qui construisent et portent l’espoir d’une autre école, inclusive, émancipatrice et égalitaire. »